Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

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La diplomatie saoudienne présente un caractère hybride, à savoir la volonté de légitimité institutionnelle vis-à-vis de l’Occident et la promotion d’un art de vivre religieux traditionnel dans les pays musulmans d’obédience sunnite.

Auteur de l’ouvrage « Dr. Saoud et Mr Djihad », Pierre Conesa s’est exprimé lors d’une conférence-débat organisée, le 2 février 2017 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Contexte politico-religieux. Au XVIème siècle, l’empire ottoman s’étend au Sud et à l’Est de la Méditerranée, au Proche-Orient et aux Balkans. En 1914, il ne comprend plus que la Turquie, l’Arménie, le Kurdistan, la Mésopotamie (Irak) et des bandes côtières (mer Rouge et golfe persique) de la péninsule arabique. Au XVIIIème siècle, dans la partie centrale qui n’a jamais été colonisée, le royaume d’Arabie se constitue sous l’égide de l’émir Mohammed ibn Saoud, allié de Mohammed ben Abdelwahab, fondateur de l’Islam « wahabite ». Depuis, leurs descendants, liés par des mariages, se partagent la direction du pays : le pouvoir politique pour les Saoud et l’autorité religieuse pour les Al-Shaikh (Wahab). Au cours de la première guerre mondiale, les Saoud déposent le Chérif gardien des lieux saints de l’Islam et descendant du prophète Mahomet. Par la suite Abd el-Aziz, premier roi du nouvel Etat d’Arabie Saoudite de 1932 à 1953, instaure un mode de succession selon lequel ses fils se transmettent le pouvoir les uns après les autres. Ainsi, souligne Pierre Conesa, les Saoud, qui n’ont aucune filiation avec le prophète, constituent une petite entreprise familiale où tout se règle entre soi. De leur côté, les Al-Shaikh cumulent les directions de 14 institutions qui ne sont pas toutes religieuses, notamment : le système judiciaire ; l’Institut supérieur de la magistrature ; l’administration chargée de l’éducation des filles ; la fondation gérant les médias ; l’Université islamique de Médine ; le Haut Conseil de la Ligue islamique mondiale (voir encadré). Jusqu’à la découverte du pétrole dans les années 1930, les tribus arabes n’ont jamais subi d’influence étrangère depuis le XIIIème siècle. Dès 1932, les Al-Saikh se qualifient de « salafistes », excluent tout intermédiaire avec Dieu et prônent une religion sunnite rigoureuse …proche de celle de l’Etat islamique (Daech) d’aujourd’hui ! Pierre Conesa présente quelques exemples de châtiments comparables pour les mêmes délits : peine de mort pour meurtre, trafic de drogue, reniement de l‘Islam, blasphème ou homosexualité ; coups de fouet pour adultère ; coups de fouet pour relations sexuelles avant le mariage ; à l’appréciation du juge (Arabie Saoudite) ou coups de fouet (Daech) pour diffamation et consommation d’alcool ; amputation de la main et du pied pour vol à main armée ; amputation de la main pour vol. Comme Daech, les Saoud détruisent les monuments symboliques comme le cimetière d’Al-Baqi à Médine et la tombe de Khadija, première épouse de Mahomet. Depuis le début, la charte du royaume précise que l’Etat doit appliquer une diplomatie religieuse.

Turbulences. En 1945, la Ligue Arabe est fondée au Caire par l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du Nord. En 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser nationalise le canal de Suez pour financer le barrage d’Assouan, destiné à gérer les crues du Nil. La crise internationale qui s’ensuit déclenche un panarabisme contre l’Occident, mené par l’Egypte et la Syrie. Ces régimes républicains et nationalistes s’opposent aux monarchies saoudienne et jordanienne, pro-occidentales. Pour contrer l’influence de l’Université millénaire al-Azhar du Caire, l’Arabie Saoudite instaure l’Université islamique de Médine en 1961. Celle-ci a déjà formé 30.000 stagiaires, attirés par des bourses d’études et la gratuité du logement. Dès 1962, elle accueille des membres du mouvement panislamiste des Frères musulmans, chassés d’Egypte et qui y retourneront pour occuper des fonctions de cadres dans l’enseignement supérieur, l’administration et la restructuration du droit coranique. Le panislamisme, revendiqué également par les  organisations djihadistes Al Qaïda et Daech, est un mouvement politico-religieux réclamant l’union des territoires considérés comme musulmans sous la direction d’un calife. Au cours des années 1960, la diplomatie religieuse saoudienne commence à agir en Afrique francophone, notamment au Mali, pour équilibrer l’influence du socialisme arabe de l’Algérie, de la Libye et de l’Irak. En 1973, la guerre du Kippour oppose Israël à  l’Egypte et la Syrie, soutenues notamment par l’URSS et la Ligue Arabe. L’Organisation des pays producteurs de pétrole, créée en1960 à l’initiative du Venezuela et de l’Arabie Saoudite, quadruple alors le prix du pétrole. Ce soudain enrichissement bouleverse la société tribale saoudienne, qui connaît la modernisation sans le changement. En février 1979, la révolution islamiste en Iran porte au pouvoir les mollahs chiites, qui prônent un Islam républicain contre les Etats-Unis et la France et demandent une gestion collégiale des lieux saints. En novembre, des fondamentalistes islamistes occupent la Grande Mosquée de La Mecque, qui sera reprise avec l’aide du GIGN français. La répression est marquée par 74 décapitations en 24 heures. En décembre, les troupes soviétiques envahissent l’Afghanistan, pays musulman. A chaque crise, la mainmise religieuse s’est accélérée, souligne Pierre Conesa.

Ambiguïtés. En 1945, l’Arabie Saoudite conclut avec les Etats-Unis le « Pacte de Quincy », qui garantit une protection militaire de la dynastie en échange d’approvisionnements pétroliers. Cet accord de 60 ans sera renouvelé en 2005. Lors de la guerre du golfe contre l’Irak de Saddam Hussein en 1991, l’Arabie saoudite accueille 150.000 soldats américains, dont 10.000 juifs, en terre d’Islam. Quoique 15 Saoudiens figurent parmi les 19 auteurs des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l’administration Bush incrimine l’Iran, l’Irak et même la Corée du Nord ! Elle censure 28 pages d’un rapport du Congrès américain sur l’attentat qui, rendu public 20 ans plus tard, souligne la collusion entre l’industrie pétrolière texane et l’Arabie Saoudite. Par la suite, les Etats-Unis imposent la fermeture de 253 organisations non gouvernementales, soupçonnées d’entretenir des relations avec les djihadistes. Celles du Pakistan ont organisé des attentas en Inde avec des fonds venus d’Arabie Saoudite. Selon Pierre Conesa, l’efficacité du lobby saoudien aux Etats-Unis et en France, par le biais de sa diaspora qui a accès aux plus hautes autorités de l’Etat, repose sur une stratégie d’influence et non pas de pression, pour éviter une mise en accusation dans les instances internationales. Par ailleurs, Wikileaks a déclassifié 60.000 documents diplomatiques saoudiens indiquant : une concentration des services de renseignement au niveau du roi ; une diplomatie planétaire en matière de prédication salafiste, notamment en Inde considérée comme le 2ème pays chiite après l’Iran ; un ennemi principal, le chiisme, suivi des autres pratiques de l’Islam. Cette capacité d’influence se double d’un système de commissaires politiques à la soviétique, souligne Pierre Conesa. Les gens formés à l’Université de Médine doivent aller transformer leur société d’origine avec un impératif : pas d’attentat sur le territoire saoudien !

Loïc Salmon

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Outre ses représentations diplomatiques officielles, l’influence de l’Arabie saoudite se manifeste par l’implantation des bureaux de la Ligue islamique mondiale au Moyen-Orient, en Australie, en Asie du Sud-Est, en Afrique, en Europe, en Russie, au Canada et en Amérique du Sud. En 2015, la Ligue y a distribué des exemplaires du Coran : 9,2 millions au Moyen-Orient et en Asie ; 230.669 en Afrique ; 87.635 en Europe ; 14.233 en Amérique du Nord ; 6.506 en Australie ; 6.460 en Amérique du Sud.

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