Armée de Terre : innovation et volonté au service de la victoire

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Emporter la décision sur le champ de bataille nécessite la supériorité technologique sur l’adversaire, mais aussi une définition claire des objectifs et la volonté farouche de vaincre.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 24 janvier 2017 à Paris, par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de Terre. Y ont participé : le général de division Patrick Berthous commandant les forces spéciales Terre ; l’ingénieur en chef Christian Ramaen, études amont à la Direction générale de l’armement (DGA) ; Emmanuel Chiva, groupement des industriels de l’armement terrestre et aéroterrestre (GICAT).

L’innovation sur le terrain. Composées de soldats « rustiques », les forces spéciales connaissent un rythme opérationnel très variable, mais celui de renouvellement de leurs tactiques est plus élevé que pour les forces conventionnelles, explique le général Berthous. Véritable laboratoire pour les armées et en liaison avec la DGA, elles adaptent en permanence leurs modes d’action et leurs équipements à partir de retours d’expériences et d’études prospectives. Ainsi pour l’opération « Barkhane », le drone tactique Patroller a été utilisé contre les djihadistes au Mali dès l’hiver 2016, en coordination avec l’infiltration de parachutistes. L’hélicoptère Tigre apporte un appui direct aux opérations, qui ne sont jamais déclenchées sans lui. Aujourd’hui, les véhicules blindés du combat d’infanterie sont climatisés. D’une façon générale, il s’agit de maintenir une supériorité technique et tactique sur l’adversaire pour le détecter et le détruire de loin. Les forces spéciales partent avec le strict minimum, à savoir l’eau, les rations, le carburant, les pièces détachées, le système de navigation GPS et la liaison avec les satellites qui couvrent la zone. Quoiqu’affaibli au Levant, Daech profite du nivellement technologique par son accès au GPS et aux réseaux sociaux. Il pratique les cyberattaques et utilise des drones de reconnaissance et des engins explosifs improvisés. Quels que soient les progrès technologiques, estime le général Berthous, les combattants resteront indispensables sur le terrain pour conserver un temps d’avance sur l’adversaire sur les plans technique, tactique et de compréhension de la situation. La victoire reposera toujours sur l’intelligence du chef.

Le futur technologique. Premier investisseur de l’Etat dans l’industrie, la DGA a pour mission de conserver la supériorité opérationnelle, qui inclut entraînement des soldats, fiabilité des systèmes et avantage technologique, rappelle l’ingénieur en chef Ramaen. Dans un programme d’armement long, les études amont se trouvent au cœur de la recherche. Ainsi pour le char Leclerc qui doit durer jusqu’en 2040, les études amont ont commencé en 1965 et le démonstrateur a été lancé en 1970 pour des livraisons à partir de 1985. Pour le programme « Scorpion » de l’armée de Terre, la DGA a injecté 200 M€ dans les études amont depuis 1990 pour assurer des innovations dans la durée, alors que les livraisons des matériels débuteront en 2018. La loi de programmation militaire (LPM) 2008-2013 a fixé, comme choix technologique de la DGA, le maintien des compétences critiques en alimentant les bureaux d’étude. La nouvelle gouvernance des études amont est précisée dans un document d’orientation de la science et de la technologie, qui donne des axes de recherche sur 10 ans en parallèle avec la LPM réactualisée. Ainsi, la période 2016-2021 concerne notamment les aéronefs de combat (Rafale et drones) et la cyberdéfense des forces terrestres. La coopération franco-allemande portera sur le char du futur à l’horizon 2040, car les Leopard allemands et les Leclerc français arriveront en fin de vie, de même que les lance-roquettes unitaire des deux pays. L’accent sera aussi mis sur le laser de forte puissance, que la Grande-Bretagne étudie, que l’Allemagne possède déjà (2 exemplaires) et que certains navires américains emportent en opérations. Le programme « Scorpion » entrera dans sa phase 2. Le fantassin sera « augmenté » par l’exosquelette pour le transport et la manipulation des charges lourdes. La capacité de vision nocturne des véhicules circulant tous feux éteints leur permettra de voir la nuit en couleurs et non plus en noir et blanc. Les études porteront aussi sur la robotique et l’énergie (batteries et motorisation hybride). Toutes les technologies non duales seront maintenues, tandis que les duales (à usage civil et militaire) seront « allégées » financièrement. Les véhicules blindés, qui doivent durer 40 ans, sont conçus comme des plates-formes modulaires, susceptibles de recevoir de nouveaux systèmes de brouillage et de protection. Enfin en cas d’urgence opérationnelle, indique l’ingénieur en chef Ramaen, la DGA peut réaliser un matériel mature dans les 6 mois suivant la définition des besoins.

La vision industrielle. L’industrie de défense s’inscrit dans un écosystème, où l’Etat définit les besoins opérationnels et technologiques à partir des retours d’expérience, explique Emmanuel Chiva. Ainsi, les forces terrestres américaines ont déployé 10.000 robots en Irak en 2003. Une vision d’ensemble permet d’anticiper les convergences entre nanotechnologies, biotechnologies et microélectronique. Certaines ont débouché sur le treillis protégeant des attaques biologiques ou les lentilles de contact pour vision thermique. En 2025, quelque 6.000 Mds$ seront investis au niveau mondial dans l’intelligence artificielle, du fait de son caractère dual. Pour la défense, il s’agira d’identifier les ruptures technologiques et leurs conséquences capacitaires (puissance de calcul, simulation embarquée). Le financement public de l’innovation de défense réalisée par des « start up » comporte un risque, avertit Emmanuel Chiva. En effet, si elles sont rachetées par un grand groupe privé, celui-ci sera probablement tenté de diffuser dans le grand public leurs innovations qui échapperaient alors à la défense. Le représentant du GICAT recommande d’intégrer l’homme dès le début des recherches, car la technologie est souvent surestimée sur le court terme et sous-estimée sur le long terme. Par ailleurs, alors que les ingénieurs de la DGA peuvent se reconvertir dans l’industrie de défense, cette passerelle ne fonctionne pas dans l’autre sens. En revanche, la DARPA (agence américaine de recherche avancée sur des projets de défense) facilite les passages croisés entre elle et les sociétés d’armement, en vue d’encourager la synergie entre industriels et opérationnels.

Loïc Salmon

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Nom de code Geronimo

La loi de programmation militaire 2014-2019, actualisée en 2015, définit les priorités des études amont en matière d’armement : préparation du renouvellement des deux composantes de la dissuasion ; conception des futurs aéronefs de combat au travers d’une dépendance mutuelle organisée autour du couple franco-britannique, préparation des évolutions du Rafale, autoprotection et travaux spécifiquement militaires sur les hélicoptères, insertion des drones dans la circulation aérienne en coopération européenne ; montée en puissance de la rationalisation de l’industrie franco-britannique pour le renouvellement et la rénovation des systèmes de missiles ; lutte sous-marine, systèmes de combat naval modulaires opérant en réseaux, architectures innovantes pour les bâtiments de surface ; montée en puissance de la cyberdéfense ; poursuite des efforts sur la protection des véhicules, des équipages et des combattants, la surveillance des itinéraires ; nouvelles technologies pour munitions ; préparation de futurs programmes spatiaux d’écoute, d’observation et de communication ; poursuite de l’effort sur le traitement des images, la guerre électronique, l’exploitation et le traitement des données de renseignement, la numérisation de l’environnement géophysique, les évolutions des systèmes de radionavigation ; lutte anti-drones.

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