Saint-Exupéry, pilote de guerre

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Soixante-dix ans après la publication aux éditons Gallimard du dernier roman d’Antoine de Saint-Exupéry intitulé « Pilote de guerre », un colloque a fait le point sur la dernière partie de sa vie (1939-1944).

Capitaine de réserve en 1939, Saint-Exupéry, ancien pilote de l’Aéropostale, est jugé inapte pour l’aviation de chasse mais, grâce à ses relations, parvient à se faire affecter au groupe de reconnaissance (GR) II/33 basé à Orconte (Marne). La déclaration de guerre surprend l’armée de l’Air française en pleine rénovation. Malgré les énormes efforts de l’industrie aéronautique considérée comme prioritaire, 30 % des avions livrés sont incomplets en raison de l’insuffisance d’hélices, d’armements, de radio et d’accessoires. Après la « drôle de guerre » où les belligérants restent sur leurs positions, l’Allemagne reprend l’offensive le 10 mai 1940. L’armée de l’Air française et l’aviation britannique basée en France alignent 1.470 avions modernes… contre 6.265 pour la Luftwaffe ! Le 20 mai, la Wehrmacht arrive à Abbeville et Amiens. Trois jours plus tard, le capitaine de Saint-Exupéry et son équipage sont envoyés en reconnaissance au-dessus d’Arras. Cette mission servira de trame principale à « Pilote de guerre ». Il part sans illusions : «  On ne tiendra aucun compte de nos renseignements. Nous ne pourrons pas les transmettre. Les routes seront embouteillées. Les téléphones seront en panne. L’état-major aura déménagé d’urgence. Les renseignements importants sur la position de l’ennemi, c’est l’ennemi lui-même qui les fournira ».  Pourtant, il repère une division blindée, qui attaque en force, et parvient à ramener son avion, touché par la DCA allemande, à Orly. Cette réussite lui vaut la croix de Guerre avec palme. Le 20 juin, Saint-Exupéry décolle de Bordeaux pour Perpignan puis Oran et arrive à Alger le 23. La veille, l’armistice avait interdit de vol tous les avions français rescapés !

A l’époque, « Saint-Ex », comme on l’appelle, est un écrivain célèbre. Il a reçu le prix Femina pour « Vol de nuit » et, pour « Terre des Hommes », le Grand Prix de l’Académie française et le « National Book Award » américain. Fort de cette notoriété, il débarque à New York le 31 décembre dans l’intention de convaincre les Etats-Unis de s’engager aux côtés des Alliés. Pressé par ses éditeurs américains, il rédige « Pilote de guerre » en huit mois. La version anglaise « Flight to Arras », publiée en février 1942, un mois après l’entrée en guerre des Etats-Unis, enthousiasme la jeunesse américaine. En France, son livre est édité à Paris le 27 novembre 1942 par Gallimard, qui en tire 24.539 exemplaires, vendus très rapidement. Le 8 février 1943, la censure allemande interdit sa publication, qui reprendra officiellement en octobre 1944 après des éditions clandestines à Lyon et Lille. A la fameuse déclaration du général De Gaulle sur la bataille perdue par la France mais pas la guerre, Saint-Exupéry répond dans ses « Ecrits de guerre » : « Dites la vérité, général. Nous avons perdu la guerre. Nos alliés la gagneront ». Il lui en sera longtemps tenu rigueur. Aucun exemplaire de « Pilote de guerre » n’arrivera en Afrique du Nord, contrôlée par les gaullistes. En outre, la disparition de Saint-Exupéry en mission de guerre le 31 juillet 1944 ne sera honorée par la citation « Mort pour la France » qu’en mars 1950, soit bien après le départ du général De Gaulle du gouvernement en janvier 1946.

Loïc Salmon

Saint-Exupéry, pilote de guerre. Actes du colloque tenu les 28 et 29 juin 2012 à Saint-Maurice-de-Rémens. Editions Gallimard/258 pages/21 €

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