Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

image_print

Le terrorisme en Occident, autrefois le fait de professionnels motivés par une idéologie et qui préservaient leur vie, est devenu celui de jeunes qui y sont nés et souhaitent perdre la leur dans l’action.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 16 octobre 2017 à Paris, par l’Institut national des hautes études de défense nationale. Y est intervenu Olivier Roy, professeur de sciences politiques à l’Institut universitaire européen de Florence et spécialiste des religions comparées.

Recherche de légitimité. Le « djihad » (guerre sainte) concerne un territoire précis et relève d’autorités reconnues, à savoir les « ulémas » (théologiens de référence), gardiens de la tradition musulmane et qui veulent conserver le monopole de la force légitime, explique Olivier Roy. Daech se réclame des origines de l’islam pour justifier son existence. Le djihad forme un(e) islamiste global(e), détaché(e) d’une langue et d’un pays. Dans les années 1980, les volontaires musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient constituent les premiers djihadistes « globaux », combattant l’armée soviétique en Afghanistan. Les jeunes gens mineurs et même les jeunes filles peuvent s’y rendre sans autorisation de leurs parents. Le terrorisme islamiste survient dans les années 1990, quand Oussama ben Laden exclut de se fixer sur un territoire précis, trop vulnérable aux attaques soviétiques et kurdes. Sa stratégie consiste à se doter de zones sanctuarisées et de frapper les populations civiles pour établir le véritable « Etat islamiste ». S’inspirant de l’iconographie des « Brigades rouges » italiennes, Al Qaïda a pu recruter quelques centaines de jeunes radicalisés, venus chercher le « bon djihad » en Bosnie, en Tchétchénie, en Afghanistan et au Pakistan. Ensuite, des émirats islamistes sont apparus dans le Nord du Nigeria (Boko Haram) et de l’Indus, en Afghanistan, au Yémen, au Nord de l’lrak, au Mali et dans le désert du Sinaï. Il s’agit toujours de zones tribales aux liens familiaux très étroits…que le modèle djihadiste veut nier ! Daech estime que les sociétés occidentales, fragiles, seront mises à genoux par le terrorisme, aboutissement de la trajectoire d’un salafiste. En effet, la radicalisation salafiste prône une communauté de foi, qui oblige à vivre à part pour ne pas se laisser corrompre par la société. Daech a pu ainsi recruter quelques milliers de jeunes salafistes en Europe occidentale, dans les Balkans et en Amérique du Nord et même leur offrir un territoire entre Raqqah et Bagdad. Iconoclaste, il détruit tout ce qui peut rappeler le passé, y compris musulman (mosquée de Mossoul datant du XIème siècle). A partir de la culture des jeunes d’aujourd’hui, il élabore un imaginaire islamiste avec une esthétique de la violence. Les Khmères rouges et les nazis dissimulaient les exécutions, rappelle Olivier Roy. Par contre, Daech les exhibe et compte sur cette fascination pour s’opposer à un monde, où les sociétés, même musulmanes, se sécularisent sous l’influence de l’Occident. La radicalisation religieuse conduit de la violence symbolique à la violence réelle. Les jeunes radicaux recherchent l’action pour s’inscrire dans les grandes tendances géostratégiques, qui pourtant ne les concernent pas.

Profils et parcours. La radicalisation islamiste ne ressemble pas à celle des mouvements d’extrême-gauche, qui bénéficiaient du soutien de sympathisants. Pour Daech, c’est tout ou rien, souligne Olivier Roy. Ses adeptes n’ont pas de passé militant « islamo-gauchiste ». Ils comptent 65 % d’immigrés de la 2ème génération et 35 % de convertis à l’islam en Europe et 40 % aux Etats-Unis. En France, ils se trouvent parmi les jeunes Antillais et Africains de banlieue, non musulmans, et aussi parmi les Normands et les Bretons… mais pas les Corses ! Aucun n’a participé aux émeutes entre la police et les jeunes de quartiers sensibles. Malgré l’absence de passé religieux, ils croient qu’ils iront au paradis après leur rencontre avec leur modèle : Al Qaïda ou Daech. Comme les mouvements extrémistes (IRA provisoire et mafias), les entités islamistes profitent des traditions familiales, mais où les rôles s’inversent. Leur père n’étant pas considéré comme un « bon » musulman, les enfants vont endoctriner leur mère. Ils agissent souvent entre frères de sang. Lors des guerres du Daghestan (1999) et de Tchétchénie (1999-2009), des sœurs ou épouses reprennent le flambeau de leur frère ou mari, tué par la police. Depuis 2012, des jeunes femmes, volontaires ou forcées, rejoignent massivement Daech en Syrie, pour procréer ou y mourir. En effet, les jeunes radicalisés sont davantage nihilistes qu’islamistes et veulent mourir après l’attentat, réussi ou raté. Motivés par le suicide, ils se construisent une généalogie imaginaire pour devenir plus « saints » que leurs parents, dont la culture ne les intéresse pas. De leur côté, certains parents musulmans renient leurs enfants terroristes.

« Déradicalisation » difficile. Souvent petits délinquants au départ, les futurs djihadistes ont découvert la radicalisation en prison, sur internet ou auprès d’un pair radicalisé, explique Olivier Roy. La coopération européenne en matière de renseignement permet de les suivre et de démasquer les réseaux de radicalisation, malgré la difficulté à déceler l’individu isolé qui entrera en contact avec Daech trois mois plus tard. Les djihadistes occidentaux se considèrent comme des « militants », à l’exemple de ceux de l’extrême-gauche terroriste, en raison du choix qui a donné un sens à leur vie. Des mères tentent de « déradicaliser » leurs filles, revenues de Syrie et conscientes des excès de Daech. Autrefois en France, la laïcité se présentait comme une spiritualité et le communisme comme une forme de religion, tous deux porteurs de valeurs partagées. Aujourd’hui, l’appartenance religieuse redevient plus visible, mais avec des valeurs spécifiques. L’Etat peut décréter des normes, mais pas des valeurs.

Loïc Salmon

Défense et sécurité : s’organiser face au terrorisme protéiforme

Moyen-Orient : crises, Daech et flux de migrants en Europe

Géopolitique : frontières ignorées et affrontements futurs

Entre 1968 et 1990, des groupes d’extrême-gauche ont perpétré des attentats en Europe. Ainsi, en Allemagne de l’Ouest, la « Fraction armée rouge », financée et aidée par l’Allemagne de l’Est, a exécuté 34 personnes, dont Hanns-Martin Schleiyer, représentant du patronat allemand (1977) et Alfred Herrhausen, président de la Deutsche Bank (1989). En Italie, les « Brigades rouges » ont tué 84 personnes, dont l’ancien chef du gouvernement Aldo Moro (1978). En Grande-Bretagne, l’IRA provisoire a pratiqué les attentats à l’explosif contre l’amiral Louis Mountbatten (1979) et en Irlande du Nord, dont celui d’Omagh avec 29 morts et 220 blessés (1998). En Espagne, l’ETA basque a utilisé des explosifs, notamment à Madrid contre l’amiral Luiz Carrero Blanco (1973) et dans un centre commercial à Barcelone causant 21 morts et 40 blessés (1987). En France, « Action directe » a assassiné l’ingénieur général René Audran (1985) et le président directeur général de Renault Georges Besse (1986). Entre 2001 et 2015, le terrorisme islamiste a tué 232 Français en France et à l’étranger. L’attentat le plus meurtrier a eu lieu le 13 novembre 2015 dans Paris et sa banlieue (130 morts et 415 blessés), suivi de celui du 14 juillet 2016 à Nice (86 morts). Enfin en Espagne, l’attentat du 17 août 2017 à Barcelone a fait 14 morts et une centaine de blessés de 35 nationalités différentes.

image_print
Article précédentMarine Nationale : 40 bâtiments en permanence à la mer
Article suivantSécurité : Israël et la France, face au terrorisme islamiste